La guerre de 14-18

MIRABEL -ET- BLACONS   1914

Le village en ses habits de printemps

Le printemps de 1914 commençait à Mirabel et Blacons sous les meilleurs auspices. L’hiver qui venait de se terminer avait vu le succès du film Les Misérables à l’Eden de Crest et la salle annonçait le nouveau film Quo Vadis. Aux Berthalais, la fête des Laboureurs le 1 et 2 mars avait eu le succès habituel à l’Hôtel Mounier. Même si certains se plaignaient de l’état poussiéreux des routes et réclamaient « un goudronnage et un pétrolage nécessaires « (Crestois du 14 février) en accusant les premières automobiles « véritable fléau des routes ». A Blacons la construction de la Mairie-Ecole est en bonne voie d’achèvement comme l’école des Berthalais.
La mort de Frédéric Mistral le 25 mars, même s’il s’agit d’un Prix Nobel de Littérature, n’émeut pas grand monde dans la vallée de la Gervanne. Beaucoup moins en tout cas que les élections législatives du mois de mai où s’affrontent au deuxième tour deux tendances : Archimbaud – selon le Crestois – le protestant favorable au maintien de la loi des trois ans (service militaire) et opposé à la loi instituant l’impôt sur le revenu, face à Long,  » le franc-maçon », opposé à la loi des trois ans mais pour l’établissement de l’impôt sur le revenu. La fièvre électorale retombe vite et la séance récréative dans la toute récente salle paroissiale de Blacons, KERMOR, un drame en quatre actes, est un immense succès le dimanche 7 juin après-midi. Mieux encore, les quatre élèves de l’école des Berthalais – installée au bas de l’usine – présentés au Certificat d’Etudes à Beaufort par Mlle Mignot, institutrice, sont tous admis le 20 juin pour la plus grande satisfaction de la maîtresse et de toute la population.

Un village en mutation 

Economiquement, la commune de Blacons, vit une mutation exceptionnelle : l’arrivée du machinisme avec les premières faucheuses mécaniques, ainsi que les premières lieuses et les nouvelles batteuses à moteur. Les usines s’agrandissent à Blacons et aux Berthalais aux dépens du vieux village de Mirabel qui se dépeuple de plus en plus : plus de mairie, plus d’école, plus d’église sur la colline. Ne reste plus que le Temple construit en 1857. Le village de Blacons compte deux automobiles, une sigma-torpédo et une De Dion-Bouton. L’amélioration des chemins et des routes continue : le chemin de Beaufort est devenu route départementale avec un pont sur la Romane. La commune est enfin rattachée au réseau téléphonique et à Piégros, la construction d’une petite gare remplace la modeste station du PLM. L’éclairage électrique fait même son apparition autour des Papeteries Latune et cet éclairage public, qui brille parfois pendant la journée, permet au journal de Crest d’ironiser sur  » Mirabel et Blacons, pays de lumière » ajoutant même cette question goguenarde : « Combien de temps vont durer les ampoules ?  »
La construction de la salle paroissiale achevée fin 1913 incarne bien le paradoxe administratif d’un quartier entier – Bellevue – rattaché économiquement, scolairement, socialement, religieusement à Blacons qui se trouve en fait sur la commune d’Aouste puisque la Gervanne est la limite des deux communes. Aussi une nouvelle pétition demandant le rattachement à Blacons du quartier Bellevue est signée – la première datait de 1906. La population de Mirabel et Blacons reste stable : 597 habitants. L’équipe municipale vote régulièrement des aides aux familles en difficulté, pour les femmes en couches en particulier. Ainsi on peut constater que la commune de Mirabel et Blacons est bien entrée dans le XX° siècle et que l’avenir s’annonce prometteur.

La Gervanne en crue

La quatrième semaine de juillet 1914, une première catastrophe bouleverse la vallée de la Gervanne et ses habitants.
Le désastre de la Gervanne se produit après le 20 juillet. La pluie a commencé à Beaufort le mercredi 22 jullet à 5 heures du matin. De grandes quantités d’eau sont tombées pendant plus de 48 heures sans discontinuer. Deux jours plus tard les dégâts sont considérables. La Gervanne avec une crue jamais vue depuis 1842 balaie tout sur son passage. Relisons le Crestois du 25 juillet  » A 7 heures du matin, elle emporte la passerelle de Romezon. On voit passer, à partir de 8 heures à Blacons, des gerbes de blé, des arbres, des planches et même un berceau – vide heureusement. A 9 heures, un craquement du pont sur la nationale marque le début d’un trou du côté d’Aouste…L’éboulement continue… puis toute la largeur du pont s’enfonce entre les deux trottoirs… Du côté de Blacons, un autre trou se creuse juste au moment où les ouvriers de l’Usine Latune s’approchaient pour barrer l’entrée du pont, arches et culées ruinées… » La route nationale est donc coupée à Blacons mais aussi toutes les rives de la Gervanne sont dévastées de Beaufort à la Drôme : arbres et récoltes emportés, la majorité d’un champ de Romezon est partie avec la crue ; aux Berthalais et à Beaufort, des maisons en bordure de rivière sont démolies, une scierie est en ruine à Beaufort ainsi que la prise d’eau du Moulin du Roi. L’école des Berthalais en bas de l’usine au rez-de-chaussée a été évacuée : un mètre cinquante d’eau. On ne compte plus les passerelles détruites à Charsac, Montclar, Beaufort… A Piégros-la-Clastre, le pont a disparu ainsi qu’une remise et des animaux qui se trouvaient dans des étables près de la rivière sont noyés. La Gervanne qui présente des remous de 5 à 6 mètres crée un mur d’eau de plusieurs mètres de haut au confluent avec la Drôme.
La déclaration de guerre de l’Autriche-en accord avec l’Allemagne- contre la Serbie du 28 juillet après l’attentat de Sarajevo passe inaperçue dans la vallée de la Gervanne où les communes font le bilan des dégâts. Le préfet de la Drôme interdit même la circulation au pont de Blacons et annonce la création d’une passerelle provisoire.

Mobilisation générale et économie de guerre

Les habitants de Mirabel et Blacons n’ont pas le temps de s’apitoyer sur leur sort : le 1er août, ils apprennent par voie d’affiches la mobilisation générale souvent accompagnée par le tocsin. Le développement amorcé est stoppé net : la commune comme toutes les autres en France va vivre dans la guerre.
L’économie de guerre est intégralement tournée vers les besoins des armées et bouleverse donc une économie essentiellement rurale où la main d’oeuvre est très importante. La mobilisation générale a vidé une partie de la commune des actifs nécessaires à la bonne marche de la vie quotidienne. Dès le 4 août 1914, Mme Terrail, boulangère et fournisseuse de la Coopérative des Papeteries écrit à Mr le Maire « pour demander de lui fournir un mitron pour remplacer son mari mobilisé « (Arch. Municipales). La mobilisation a même rappelé deux vétérans de la Guerre de 1870-1871 en octobre 1914. D’autre part, les premières réquisitions ont lieu dès le 4 août, ainsi  » huit chevaux indispensables pour l’artillerie devront être fournis par les habitants de Mirabel et Blacons. »
Une circulaire du préfet de la Drôme arrive en mairie précisant que  » Monsieur le Maire doit inciter la population à continuer les travaux agricoles. » Pour la batteuse, il manque les deux mécaniciens, tous deux mobilisés : requête est présentée par la mairie pour leur démobilisation, « sinon on fera notre possible avec le personnel restant et les femmes »(Arch.Muni.) Parallèlement, Monsieur le Préfet souhaite un recensement  » de la population capable de travailler la terre. Il oblige les agriculteurs à conserver des semences pour l’année suivante ». Il ne peuvent donc pas vendre tout ce qu’ils veulent. Un autre interdiction concerne les animaux de boucherie :  » défense de vendre les animaux femelles : ovins, caprins, vaches et toutes les bêtes en gestation ».
Le 15 août 1914, une lettre de la Préfecture fait obligation  » à la commune de Mirabel et Blacons de livrer 6 boeufs au poids public de Crest (Champ de Mars) avec un prix maximun fixé par le préfet ». Trois jours plus tard, des responsables sont désignés pour organiser les travaux agricoles : trois personnes à Blacons. De même quatre autres personnes doivent surveiller l’alimentation de la population  » avec distribution de bons de pain et de pommes de terre aux familles indigentes ». Le manque de personnel dans les minoteries et dans les battages se fait cruellement sentir : « des sursis sont accordés par l’autorité militaire pour différer la mobilisation des hommes de réserve. » Cette pénurie de main-d’oeuvre pour des travaux indispensables pousse les maires de Blacons, Piégros et Aouste à réclamer, par lettre du 29 septembre, à l’autorité militaire  » le retour du boucher Mr Dourille, mobilisé à Montélimar, qui tenait l’unique boucherie du pays au quartier Bellevue ». Refus catégorique de l’autorité militaire. Dans un autre domaine, l’autorité militaire va jusqu’à réquisitionner  » les harnachements, bricoles, freins, mors, colliers… pour les bêtes de trait utilisées dans l’artillerie. » Cette même autorité militaire exige de nouveau le 15 octobre  » un convoi de 6 boeufs et une vache pour le ravitaillement de l’armée ».

Déplacements de population

 Une autre conséquence de la guerre et des combats intenses sur la Marne et à la frontière belge est l’afflux des réfugiés. Une population civile venant des Vosges, de la Marne, de la Somme et de Meurthe et Moselle arrivent vers le 15 août, une vingtaine de personnes – femmes, enfants et vieillards. Les pouvoirs publics vont donc organiser ces déplacements de population. Le Préfet de la Drôme le 18 août  » demande aux maires s’il y a encore des habitants – jeunes- qui seraient encore en Allemagne et en Autriche sans doute pour organiser leur rapatriement ». On ne se déplace plus librement : une personne travaillant chez Mr Latune  » est autorisée par la préfecture à rentrer en Italie dans sa famille en train : un passeport lui sera fourni ». De plus la sous-préfecture de Die, début septembre, souhaite que  » Mirabel et Blacons fournisse la liste des habitants acceptant de recevoir des réfugiés ». Le maire de Blacons répond au sous-préfet que la commune peut recevoir 100 personnes : 20 hommes, 30 femmes et 50 enfants.
Les pouvoirs publics sont amenés à contrôler cette présence importante de population déplacée. Ainsi tout réfugié doit posséder un Certificat de Résidence attestant l’endroit où il doit habiter et il ne peut s’éloigner de plus de 10 kms sans être muni d’un « Sauf-Conduit » avec une carte tricolore pour les Alsaciens-Lorrains – qui n’avaient que des papiers allemands depuis 1871-. Le maire constitue des listes qu’il envoie à la sous-préfecture. De plus le préfet expédie aussi des mandats pour couvrir certains frais relatifs à la présence de ces réfugiés. En conséquence, les communes accordent des bons pour se fournir en vêtements dans les magasins et procèdent à des distribution de vêtements chauds. La Croix-Rouge à Crest avait lancé début août la collecte de vêtements et produits de première nécessité (Le Crestois du 8 août 1914). A Blacons, la mairie incite la population à aider les réfugiés.

L’école et les soins aux blessés

Un autre événement modifie aussi la vie de la commune. C’est la démarche de Mr Charles Latune  » pour ouvrir la nouvelle école, qui s’achève, en ambulance de 20 lits, équipée par ses soins et sa générosité » désignée comme Hôpital Bénévole N° 130-bis- dépourvu de médecin : les soins seront assurés par le Dr Ricateau de Crest et deux infirmières militaires : une convention est signée entre la mairie et l’autorité militaire. Dès le début octobre, une vingtaine de blessés sont soignés à Blacons. Il s’agit évidemment de blessés légers et ces victimes font des séjours assez courts. D’ailleurs le Crestois du 3 octobre glorifie cette présence en notifiant chaque retour au front des blessés en convalescence à Blacons, à Aouste-ambulance de 20 lits aussi- et à Crest. L’hôpital bénévole sera fermé en juin 1916.

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Au cours de ce mois d’octobre, on commence les premiers aménagements du pont provisoire de Blacons remplaçant l’ancien détruit en juillet : des poutres sont installées pour créer une passerelle piétonne en attendant un véritable pont. Ce mois d’octobre se termine sur une journée officielle et solennelle : le 31 Monseigneur l’Evêque de Valence vient à l’ecole de Blacons pour rendre visite à la vingtaine de blessés présents dans l’Ambulance Hôpital Bénévole-130bis.

( texte paru dans Les Echos de Mirabel et Blacons)

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On voit bien les restes de l’ancienne culée du pont et les piliers provisoires de la passerelle en bois. Une erreur : l’eau de Boudra de vient celle de Moudra !

1914 : Ravitaillement et réquisitions

  • 01/08, le service du ravitaillement demande une certaine quantité de denrées à la commune qui sera réduite au ¼ et peu après encore réduite d’1/4. Livraisons demandées: 7 aout: paille; 10 aout : boeufs; 11 aout : blé et avoine; 13 aout : foin.
  • 04/08, Mme Henri Terrail, boulanger à Bellevue, écrit au maire pour demander de lui fournir un mitron : son mari a été mobilisé la veille . Sans cela elle fermera la boulangerie ( elle fournit la coopérative)
  • 04/08, réquisition de 8 chevaux d’artillerie: Auguste Brun, Alfred Brunier, Eugène Chastel, Charles Charlon, Charles Latune, Jean Monteillet.
  • 04/08, circulaire du préfet répercutant une circule du ministre de l’agriculture: faire fonctionner l’agriculture malgré la mobilisation. Le maire constate que pour faire fonctionner la batteuse, il manque 2 mécaniciens. Il demande au général de Gap de renvoyer: BLANC félix cl 1898 111° territorial 11° cie et FERRIER paul cl 1907 caporal 52° ligne 9° Cie. Sinon « on fera le possible avec le personnel restant et les femmes ! » Rendement ha : blé 8 hl; avoine 25 hl; foin 2000kg.

Réponse du général Daloz le 2 sept 1914 :renvoi de Blanc Félix impossible, appartenant à une formation mobilisée.

  • 10/08, instructions du préfet concernant les travaux agricoles et l’alimentation de la population civile . Réponse le 18/0l non daté, préfet appelle la population à recenser toute personne susceptible de travailler dans l’agriculture. Obligation de conserver ses semences et tout ce qui est nécessaire à la marche de la ferme. Interdiction de vendre à la boucherie ovins, caprins, bovins femelles et les bêtes en gestation
  • 11/08, note officielle du préfet :  » l’interdiction de l’abattage des agneaux et des chevreaux ne s’applique qu’aux femelles de ces animaux »
  • 15/08, organisation d’un convoi de 6 boeufs à livrer le 15 août au poids-public de Crest à 14h.
  • 18/08, réponse au préfet (cf 14/08): responsables de l’organisation des travaux agricoles: Camille FELIX, Elie COMBET, Adolphe REYNIER. Organisation de l’alimentation de la population civile : LAGIER, LATUNE, CHASTEL Eugène,PASCAL jules. Alimentation assurée par les ressources locales. Distribution de bons de pain et de pommes de terre aux familles indigentes.
  • Non daté, telegramme: constatant l’insuffisance du personnel des minoteries, le ministre de la guerre décide que les généraux commandant « auront qualité pour accorder des sursis d’appel aux hommes des réserves dont la présence est absolument nécessaire au fonctionnement des moulins ainsi qu’aux mécaniciens des machines à battre » rendre compte des sursis ainsi accordés.
  • ?/08, réquisition du harnachement des bêtes de trait. En ont fourni: Charlon Charles, Monteillet Louis, Brun Auguste Elie, Chastel Eugène, Latune Charles.
  • Non daté , préfet aux maires :arrêter toute nouvelle réquisition de harnachements.
  • ?/08, Télégramme demandant les quantités disponibles d’avoine. (commission ravitaillement n°11) Réponse : 10 000 kg.
  • 22/08, circulaire de la préfecture fixant les prix maxima des denrées et des produits de consommation pour les troupes : décision du ministre de la guerre.
  • 29/09, lettre du maire à Mr le colonel du 111° territorial à Montélimar à propos de la fermeture de l’unique boucherie tenue par Auguste Dourille incorporé à la 14 cie du 111° territorial de Montélimar. La réouverture par renvoi de Dourille est demandée signée par les maires d’Aouste, Piègros la Clastre et Mirabel et Blacons. Le renvoi est refusé le 8 oct 1914.
  • 15/10, convoi de boeufs : François Pape 2, veuve Praneuf 2, Louis Pourret 6, Alphonse Romangalle 1 vache.
  • 30/12,   télégramme stipulant les stocks réservés à l’armée.